Accueil La littérature russe Contes Bylines L'histoire russe

L'art populaire de la Russie

Version anglais Version russe






L es plateaux en métal peints... Sans eux, il est difficile de se représenter la vie quotidienne russe au siècle dernier, les repas de fête, la «cérémonie du thé» qu'affectionnaient les paysans comme les marchands, à la maison ou à l'auberge. Jusqu'à nos jours, ces magnifiques plateaux décorent les intérieurs russes qu'ils égayent de leurs couleurs éclatantes. Le matériau dont ils sont faits est caché sous de nombreuses couches d'apprêt et de laque, le plus souvent noire. Cette surface, idéalement lisse et brillante, fait jouer la lumière avec beaucoup d'effet. Le célèbre critique d'art soviétique Anatoli Bakouchinski a écrit que cet art était «le fruit d'une improvisation spontanée inimitable». Chaque artiste travaille sans jamais copier aucun modèle ni jamais se répéter, mais cette facilité et ce goût cachent une réelle maîtrise formée par des générations d'artisans issus de la paysannerie qui possédaient un talent authentique, mais qui dans le passé resteraient anonymes.

S.Pronin. Plateau ovale ailé.

S.Pronin. Plateau ovale ailé  1998


     Cet art se répandit en Europe à la fin du XVIIe siècle et c'est dans la première moitié du XVIIIe siècle que l'on commença à fabriquer des plateaux peints laqués en Russie, d'abord dans les régions de l'Oural, puis à Saint-Pétersbourg. Dans la seconde moitié du XIXe siècle le centre en devint Jostovo, près de Moscou. Son histoire remonte au début du XIXe siècle, lorsque dans plusieurs villages et bourgs des environs de Moscou, s'ouvrirent des ateliers où étaient produits des articles laqués en papier mâché. La première fabrique de ce genre fut fondée à la fin du XVIIIe siècle par les marchands Korobov et Loukoutine dans le bourg de Fedoskino, à sept kilomètres de la petite localité de Jostovo.A côté des porte-monnaie, des tabatières, des porte-cigarettes et d'autres objets de petit format, certains ateliers commencent à produire des plateaux ronds et ovales, eux aussi en papier mâché, décorés sobrement, le plus souvent par de simples bordures dorées. Au milieu et surtout dans la seconde moitié du XIXe siècle, la production des plateaux à Jostovo et dans les villages environnants augmenta considérablement, cependant que le fer remplaçait le papier mâché, et ils supplantèrent progressivement dans les ateliers locaux tabatières et autres bibelots.

Piotr Premier sur le lac Ladoga

"Piotr Premier sur le lac Ladoga"
Atelier Beliaev. Années 1850


      La décoration des plateaux fut d'une diversité inconnue jusqu'à ce jour : les artistes représentaient des compositions florales aux couleurs éclatantes tout aussi bien que des paysages et des scènes de genre. A côté de la polychromie traditionnelle, on utilisait également la peinture sur oripeau. L'image du bouquet était appliquée sur un fond recouvert de poudres minérales ou de fines feuilles imitant l'or ou l'argent à partir d'un alliage de cuivre et de zinc. Le dessin apparaissait à la suite de lissages successifs et les détails étaient le plus souvent finis au bistre. Ce procédé créait une représentation en aplat et donnait plus de généralité à la figure ainsi obtenue. Tout aussi originaux étaient les motifs «à l'écaillé» exécutés sur un fond clair. En comparaison avec les époques précédentes, les artistes commencèrent à représenter fleurs et plantes d'une façon beaucoup plus concrète. Des bouquets colorés remplaçaient le plus souvent les guirlandes traditionnelles, et plus de place était réservée dans la composition au fond uni. Les fleurs se distinguaient par une délicatesse et une rondeur du dessin toutes particulières. Le bouquet devient alors le motif le plus répandu des plateaux de Jostovo

P.Plakhov."Les fleurs, l'oiseau et le papillon"

P.Plakhov."Les fleurs, l'oiseau et le papillon"
Plateau. 1950


      Les peintres avaient l'art de donner des contours expressifs à l'ensemble du bouquet. La partie supérieure était souvent complétée par deux ou trois branches qui se séparaient dans un mouvement ample et souple, dont la courbe suivait la forme de l'objet. Une légère ornementation composée d'herbes diverses encadrait le bouquet. Les artistes de Jostovo sentaient merveilleusement la beauté de la nature qu'ils rendaient dans leur langage spécifique, par l'harmonie de couleurs éclatantes (rouge, bleu, jaune, vert) dont l'intensité était augmentée par le lustre du fond laqué. La fantaisie des artistes engendrait une étonnante suite de variations sur un seul et même thème. Ils peignaient tantôt des bouquets dits «serrés», arrangés de façon nette et compacte, tantôt des bouquets «épars», ménageant de larges réserves sur le fond laqué (noir, doré ou encore d'une autre couleur) qui brillait de mille feux. Parfois le peintre soulignait la convention décorative avec un éclat et une audace tout particuliers : de fines tiges s'enroulaient en spirales, mêlant fleurs, baies et fruits en bouquets capricieux. Ou encore le bouquet ressemblait à un buisson où des oiseaux et des papillons voletaient au milieu de fleurs et d'élégantes guirlandes ramagées.

I.Vladikina. "Deux branches"

I.Vladikina  "Deux branches".  1995


    La virtuosité qui constituait la base de l'art des plateaux était le résultat d'un entraînement long et systématique. Le futur artiste commençait à étudier dès son enfance auprès d'un maître expérimenté, et ce n'est que vers dix-sept ans qu'il atteignait la maîtrise, c'est-à-dire qu'il acquérait à la perfection tous les procédés de peinture à plusieurs couches et le libre usage du pinceau. La richesse de la fantaisie jouait ici un rôle important. Comme l'a noté A.Issaïev : « Un peintre a du talent si l'air, l'eau, l'azur du ciel et le ruissellement céleste lui emplissent la tête, s'il ne réfléchit pas pour dessiner un tigre ou tout autre animal, un paysage ou un ornement... qu'importé que tout soit contraire à la nature, que le ciel soit vert, les arbres rouges... pourvu qu'il y ait de la diversité ».Le début du XXe siècle fut peu favorable aux arts décoratifs où prévalait un mélange d'éclectisme, de luxe, de mauvais goût et de naturalisme. Jostovo fait pourtant partie du petit nombre d'industries qui surent créer à cette époque — qui fut, au demeurant, la plus importante de son histoire — un art au rayonnement indiscutable. Ce n'est pas un hasard si les plateaux de Jostovo ont retenu l'attention des grands peintres russes d'alors. Boris Koustodiev, Piotr Kontchalovski, Ilya Machkov, Alexandre Kouprine, Pavel Kouznetsov aimaient à les représenter dans leur natures mortes.

G.Hitrov. "Le matin pres du Moskou"

G.Hitrov  "Le matin pres du Moskou".  2002

    Les artistes de l'ancienne génération ont transmis les traditions de Jostovo à leurs multiples disciples et continuateurs. Aujourd'hui, près de deux cents peintres travaillent dans les ateliers de Jostovo. Le rôle principal revient aux artistes de la génération intermédiaire, c'est-à-dire ceux qui naquirent dans les années trente et firent leur apprentissage sous la direction de maîtres expérimentés comme Andreï Goguine et Pavel Plakhov à la fin des années quarante et au début des années cinquante. Bien des points les distinguent des artisans locaux qui les précédèrent, toutefois les traits héréditaires restent pour eux la fidélité à leur art, le sens de sa spécificité et leur attachement à ses traditions. Celles-ci ne supposent pas seulement un ensemble consacré de motifs et de procédés, mais aussi, ce qui est particulièrement important, le caractère collectif de la création, lorsque toute trouvaille heureuse est reprise et variée par chacun des artistes. C'est justement cette création collective qui permet de dégager et de fixer ce que les recherches individuelles ont de meilleur en même temps que de rejeter ce qu'elles ont de plus faible.La diversité des styles individuels, le dynamisme des recherches créatrices prouvent les immenses possibilités et l'inépuisable force vitale de cet art qui, parce qu'il a assimilé l'expérience et le talent de nombreuses générations, ne cesse de se développer et de se renouveler, restant toujours aussi vivant et attachant pour l'homme d'aujourd'hui.

T.Cholokhova. "Le jardin du matin"

T.Cholokhova. "Le jardin du matin"
Plateau. 1993






© 2004   Artrusse    Email



 Les miniatures laquées
  - Fedoskino
  - Palekh
  - Mstéra
  - Kholouï
  Jostovo
  Gjel
  Châles de Pavlovski
  Possade


 Les jouets russes
  - Bogorodskoïé
  - Dymkovo
  - Le jouet moderne
  La dentelle de Vologda
  Khokhloma
  Les émaux de Rostov



O.Bolchova. Plateau ovale ailé

O.Bolchova. Plateau ovale ailé
1999    En détaille





K.Gribkov. Plateau

K.Gribkov. Plateau
1920








O.Bolshova. Plateau ovale

O.Bolchova.  Plateau ovale.  2003









A.Topilin. Plateau façonné

A.Topilin.  Plateau façonné.  2001









B.Bélaiev. Plateau ovale ailé

B.Bélaiev. Plateau ovale ailé
1977








A.Philippov. Plateau rectangulaire

A.Philippov. Plateau rectangulaire. 2004









B.Grafov. "Le bouquet du matin"

B.Grafov. "Le bouquet du matin"
Plareau. 1980








N.Antipov. "Les roses"

N.Antipov. "Les roses"
Plateau. 1977








B.Savelïev "Deux branches"
B.Savelïev "Deux branches"
Plateau. 1986








 M.Savelïev. "Les fruits"
M.Savelïev. "Les fruits"
Plateau. 1993