n Russie, les émaux de Rostov ne nécessitent
pas de présentation particulière. Chacun ici
connait ces précieuses miniatures peintes qui font
depuis des siècles l'ornement des objets du culte,
des bibelots domestiques et des bijoux. Magnifiées
par le support d'émail blanc, leurs couleurs lumineuses
apportaient un surplus de vérité aux illustrations
des sujets bibliques ou historiques, communiquaient un charme
spécial aux images de la vie réelle et de
la nature. La tradition de ce superbe artisanat a été
préservée jusqu'à nos jours par les
maîtres émailleurs qui le pratiquent en la
ville de Rostov le Grand, où s'est créée
et prospère depuis deux siècles une industrie
de l'émail très spécifique.
N.Koulandin
Portraits de Madame Volkonski. 1983
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Un artisanat
qui n'est certainement pas obligatoire pour la vie de tous
les jours, mais qui lui apporte une qualité irremplaçable.
L'habitant des froides cités industrielles de notre
siècle y retrouve la joie et la chaleur qui nous
sont si indispensables. Ces miniatures qui évoquent
la nature intacte de la terre natale, ou son histoire ancienne,
nous ramènent aux sources et au valeurs vitales et
pérennes. En ses deux siècles d'existence,
l'artisanat des émaux de Rostov a connu des périodes
fastes et des moments critiques. Jamais toutefois il n'a
renié ce qui fait sa vocation essentielle, et que
l'on peut formuler comme un idéal de beauté,
de richesse spirituelle et de grandeur humaine. On a su
préserver à Rostov et développer à
un niveau supérieur les meilleures traditions de
la miniature russe sur émail. Un artisanat qui ne
s'est jamais replié sur lui-même, et tout en
perfectionnant la tradition iconographique locale, qui a
su s'imprégner en outre de l'influence bénéfique
des autres écoles russes assimilées.

Hanap. Fin du 17e siècle
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Les secrets
du métier se transmettaient de père en fils,
de génération en génération.
Les traditions picturales des émaux de Rostov sont
très diverses. Elles se sont développées
durant des siècles au contact de la production des
plus fameuses écoles artistiques et des grands styles.
Imprégnée au départ du langage baroque,
brillant et fourmillant de symboles, elle a su se former
sur cette base une démarche qui lui est propre. Au
milieu du 19e siècle, on recensait déjà
à Rostov près d'une cinquantaine d'artisans
émailleurs. Certains d'entre eux avaient leur petit
atelier, mais dans leur majorité ces gens travaillait
à leur domicile. Regroupés en une organisation
corporative, ces professionnels conservaient leur indépendance
dans tous les aspects du métier: travail, création
et réalisation du produit fini. Et tout en oeuvrant
au sein de cette structure unitaire, ils savaient préserver
leur individualité, et la traduire en un langage
figuratif singulier.
E.Belova "Hiver russe"
Casket 1997
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L'atmosphère
spécifique dans laquelle se déroule la vie
d'une ville de province, s’attaches que les citadins
conservent ici avec le milieu rural, n'ont pu que marquer
: leur influence l'évolution de l'émaillerie
locale. Tout en s'orientant dans ses grandes mesures ce
qui se fait dans la capitale, l'émailleur de Rostov,
en 19e siècle, préserve toutes les qualités
d'une culture populaire implantée au pays. Les ouvres
de cette periode confirment entièrement cohabitation
lutaire de la tradition picturale russe et de l'art régional.
En fin du 19e siècle toutefois, une pléiade
de maîtres émailleurs s'attachait à
se maintenir à flot, et non seulement à sauvegarder
la belle tradition locale, mais aussi pour transmettre l'expérience
à la nouvelle génération. A l'initiative
du maître émailleur Alexandre Nazarov, une
classe d'émaillerie peinte est ouverte à l'école
professionnelle locale, transformée par la suite
en atelier d'apprentissage pilote. A partir de la fin des
années 1960, on voit affluer dans le métier
toute une pléaïde de jeunes talents tout prêts
à s'imprégner de la haute tradition de Rostov,
et à lui donner un nouvel essor.
A.Toporov "Chasseur"
Baguier. 2003
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A
partir des années 1970—1980, les «Emaux
de Rostov» disposent d'un collectif d'artistes de
grande valeur, oeuvrant dans un climat d'amitié des
plus favorables. Tous ces professionnels diplômés
d'écoles différentes possèdent leur
métier à fond, n'ignorent rien des secrets
de la tradition de l'émaillerie peinte et de l'orfèvrerie.
Les meilleurs d'entre eux, les individualités les
plus marquées, ont apporté de nombreuses nouveautés
au langage de l'émaillerie peinte de Rostov, au travail
de bijouterie y afférant. Chaque génération
commence par s'imprégner de la tradition picturale
en honneur, pour lui apporter ensuite sa propre vision du
monde, sa conception personnelle du Beau. Mais comme il
en est de tout art populaire authentique, le finift, les
émaux de Rostov demeurent fidèles à
un idéal inchangé, celui de la beauté
de la terre et de l'homme russe.
N.Koulandine
Triptique. "Carillons de Rostov". 1967
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