
S.Teplov. "Maria Morevna"
Baguier. 1990 Kholouï |
Le tsarévitch ne demandait
pas mieux. Il passa deux nuits chez Maria Morevna,
il lui a plu et ils se sont mariés. Et Maria Morevna, beauté altière, emmena Ivan-tsarévitch
dans son royaume. A quelque temps de là, Maria Morevna voulut partir en guerre. Elle laissait Ivan-tsarévitch
prendre soin de la maison et lui dit :
- Va partout, aie l'œil à tout. Mais n'entre
pas dans le réduit que voici, n'y jette même
pas un regard !
Mais, sitôt sa femme
partie, Ivan-tsarévitch courut voir ce qu'il
y avait dans le réduit. Et il vit Kochtchéï-l'lmmortel,
carcasse sans chair, corps sans âme qui pendait
là sur douze poutres, attaché par douze
chaînes. Kochtchéï supplia le tsarévitch
:
- Aie pitié, donne-moi à boire ! Voilà
dix ans que je n'ai eu une goutte d'eau ! J'en ai
la gorge sèche, la langue rèche.
Ivan-tsarévitch eut pitié de lui, apporta
un plein seau d'eau. Kochtchéï le but
d'une haleine, demanda encore :
- Ce n'est pas assez pour étancher une soif
de dix années !
Ivan-tsarévitch lui donna un autre seau plein.
Kochtchéï le but et en redemanda. Et sitôt
le troisième seau avalé, toute sa force
lui revint. Il tira sur ses chaînes, brisa les
douze d'un coup.
- Merci, Ivan-tsarévitch, cria-t-il. Dis maintenant
adieu à Maria Morevna, plus jamais tu ne la
reverras !
En tornade par la fenêtre s'envola, sur la route
Maria Morevna rattrapa, la saisit et dans son antre
l'emporta. Ivan-tsarévitch pleura amèrement,
puis se mit en route : «Quoi qu'il advienne,
je retrouverai Maria Morevna !» II chemina
un jour, puis deux. A l'aube du troisième il
vit un beau palais. Devant le palais un chêne
se dressait, sur le chêne un faucon perchait.
En voyant Ivan-tsarévitch, le faucon vint frapper
le sol, devint un beau et jeune preux et s'exclama
:
- Mon cher beau-frère, quelle joie de te voir
enfin !
Là-dessus Daria-tsarévna accourut, au
cou de son frère se jeta, des nouvelles lui
demanda, toute sa vie lui raconta. Ivan-tsarévitch
vécut trois jours chez eux, puis s'excusa :
Je ne peux rester davantage. Il me faut aller chercher
Maria Morevna, beauté altière, mon
épouse bien-aimée.
- Ce ne sera point facile, dit le faucon. Laisse-nous
ta cuillère d'argent, en cas. On pensera à
toi en la regardant.
Le tsarévitch laissa sa cuillère et
reprit la route.Il chemina un jour, puis deux. A l'aube
du troisième il vit un palais encore plus beau.
Devant le palais un chêne, sur le chêne
un aigle. L'aigle vint frapper le sol, devint un jeune
preux et cria :
- Olga-tsarévna, réveille-toi ! Notre
cher frère est arrivé !
Olga-tsarévna accourut, au cou de son frère
se jeta, des nouvelles lui demanda, toute sa vie lui
raconta. Ivan-tsarévitch passa trois jours
chez eux, au quatrième s'excusa :
- Il me faut aller chercher Maria Morevna, ma belle
épouse !
- La tâche est difficile, dit l'aigle. Laisse-nous
ta fourchette d'argent, en cas. Nous penserons à
toi en la regardant.
Ivan-tsarévitch laissa sa fourchette et repartit.
Il chemina un jour et deux. A l'aube du troisième
il vit un palais plus magnifique que les autres. Il
y avait un chêne devant le palais, sur le chêne
un corbeau. Le corbeau frappa le sol, devint un beau
et jeune preux et s'écria :
- Anna-tsarévna, viens vite ! Notre cher frère
est là !
Elle accourut, au cou de son frère se jeta,
des nouvelles lui demanda, toute sa vie lui raconta.
Après trois jours passés chez eux, Ivan-tsarévitch
voulut repartir : Je dois aller chercher mon épouse,
Maria Morevna.
- Ce sera bien difficile, dit le corbeau. Laisse-nous,
en cas, ta tabatière d'argent. On pensera à
toi en la regardant.
Ivan-tsarévitch laissa sa tabatière
et se remit en route. Il chemina tant qu'il finit
par arriver jusqu'à Maria Morevna. En voyant
son doux ami elle tomba dans ses bras, toute pleurante
:
- Ah, que ne m'as-tu écoutée, Ivan-tsarévitch
! Pourquoi es-tu entré dans le réduit,
pourquoi as-tu laissé partir Kochtchéï-l'Immortel
?...
- Pardonne-moi, ne remue pas le fer dans la plaie,
oublie les fautes passées ! Sauvons-nous vite,
tant que Kochtchéï n'est pas là.
Il prit Maria Morevna sur son cheval et s'enfuit
au galop.
De ce temps, Kochtchéï était à
la chasse. Le soir venu, comme des taillis il débuche,
sous lui son cheval trébuche. Kochtchéï
dit :
- Qu'as-tu à broncher, vieille carne ? Sens-tu
quelque méfait qui se trame ?
- Ivan-tsarévitch est venu, - répond
le cheval. - Il a enlevé Maria Morevna.
- Peut-on les rattraper ?
- On peut semer du blé, attendre qu'il pousse,
le moissonner, le moudre, cuire cinq fournées
de pain, le manger et se mettre en chemin. Même
comme ça on serait encore à temps !
Kochtchéï
eut vite fait de rattraper Ivan-tsarévitch.
Il dit :
- Passe pour cette fois ! Tu m'as donné à
boire, alors je te pardonne. Mais ne t'avise pas de
recommencer !
Il saisit Maria Morevna, beauté altière,
et s'en fut. Ivan-tsarévitch s'assit sur une
pierre, versant des larmes amères. Après
avoir pleuré tout son soûl, il retourna
chez Maria Morevna :
-Viens ! Partons vite, tant que Kochtchéï
n'est pas là ! J'ai bien peur, Ivan-tsarévitch
! Il va nous rattraper.
-Tant pis ! Ce sera toujours une heure de prise, une
heure que nous aurons passée ensemble tous
les deux.
Ils partirent. Le soir venu, au retour de la chasse,
Kochtchéï des taillis débuche,
sous lui son cheval trébuche :
- Pourquoi bronches-tu, vieille carne ? Sens-tu un
méfait qui se trame ?
- Ivan-tsarévitch est venu, il a emporté
Maria Morevna.
- Et on peut les rattraper ?
- On peut semer de l'orge, la voir pousser, la moissonner,
brasser de la bière, en boire tout son soûl
et dormir là-dessus. En partant au réveil,
on serait encore à temps !
En peu de temps Kochtchéï rattrapa les
fuyards. Il cria :
-Une fois encore je te pardonne, mais n'attends plus
de grâce, je te couperai en morceaux !
Kochtchéï emporta Maria Morevna, beauté
altière. Et Ivan-tsarévitch resta là,
à pleurer. Puis, n'en pouvant plus de peine,
il retourna voir sa femme : Viens ! Fuyons tant que
Kochtchéï n'est pas là.
- Mais il va nous rattraper, Ivan-tsarévitch.
Il va te couper en morceaux !
- Peu m'importe ! Je ne peux pas vivre sans toi.
Le soir, Kochtchéï revient de la chasse,
des taillis débuche, sous lui son cheval trébuche.
-Qu'as-tu à broncher, vieille carne? Sens-tu
le méfait qui se trame ?
- Ivan-tsarévitch est venu enlever Maria Morevna.
Kochtchéï rattrapa les fugitifs. Il coupa
Ivan-tsarévitch en morceaux, les mit dans un
tonneau goudronné, de fer cerclé, d'airain
encloué et jeta le tonneau dans la mer. Puis
il emporta chez lui Maria Morevna. A ce jour, à
cette heure, à cet instant les objets d'argent
qu'Ivan-tsarévitch avait laissés chez
ses beaux-frères ont subitement noirci. Le
faucon, l'aigle et le corbeau en prirent alarme -
II est sûrement arrivé malheur à
Ivan-tsarévitch !
L'aigle vit le tonneau dans la mer, plongea et le
tira sur le rivage, pendant que le corbeau et le faucon
s'envolaient chercher de l'eau morte et de l'eau vive.
Une fois de retour, ils lavèrent les morceaux,
les arrangèrent comme il convient. Le corbeau
les aspergea d'eau morte - le corps se ressouda. Le
faucon l'aspergea d'eau vive - - Ivan-tsarévitch
bâilla et dit :
- Que j'ai dormi longtemps !
- Sans nous, tu dormirais encore
! Il faut que tu viennes maintenant chez nous, te
reposer, reprendre des forces.
- Non, mes frères chéris ! Je retourne
chercher ma femme.
Et il y retourna. Mais cette fois il dit à
Maria Morevna :
- Tâche de savoir où Kochtchéï
s'est procuré un si bon cheval !
Maria Morevna, beauté altière, guetta
le moment propice, posa des questions subreptices,
tira de Kochtchéï toute la vérité
:
- A vingt-neuf pays d'ici, dans le trentième
royaume, par-delà un fleuve de feu vit Baba-Yaga,
vieille sorcière. Elle a une jument qui en
une journée fait trois fois le tour du monde
! Et elle a encore beaucoup d'autres bonnes cavales.
Je les ai gardées trois jours durant, n'en
ai pas perdu une seule. Et en récompense, Baba-Yaga
m'a donné un poulain.
- Mais comment as-tu fait pour traverser le fleuve
de feu ?
- J'ai un mouchoir magique - par trois fois à
droite on l'agite et un pont s'élève,
si haut que les flammes ne peuvent l'atteindre.
Maria Morevna répéta tout à
Ivan-tsarévitch et lui remit le mouchoir qu'elle
avait volé à Kochtchéï.
Ivan-tsarévitch traversa le fleuve de feu et
partit chez Baba-Yaga. Il marcha longtemps, sans manger,
sans boire. Et il avait grand-faim quand il vit un
oiseau des Iles avec ses petits. «Ça
tombe bien, se dit le tsarévitch, je m'en vais
manger un de ces oisillons !» Mais l'oiseau
lui dit :- Ne touche pas à mes petits, tsarévitch
! Bientôt je te serai de grand secours. Il obéit.
Peu après, il vit un essaim d'abeilles :
- Je vais prendre leur miel, apaiser ma faim !
- N'y touche pas, tsarévitch, lui dit la reine
des abeilles. D'ici peu je te serai de grand secours.
Il obéit et poursuivit sa route. Et il rencontra
une lionne avec son lionceau. Ivan tsarévitch
avait si faim que la tête lui tournait : «
Je vais manger ce lionceau ! » se dit-i mais
la lionne le supplia :
- N'en fais rien ! D'ici peu je te serai de grand
secours.
Ivan-tsarévitch serra sa ceinture et poursuivit
à jeun son chemin. Bientôt il vit la
maison de Baba-Yaga : de douze perches entourée,
sur onze perches des têtes coupées, 1
douzième vacante.
- Bonjour, grand-mère, dit le tsarévitch
en entrant.
- Bonjour, tsarévitch ! Viens-tu de plein gré
ou par besoin ?
- De plein gré je viens te servir, gagner le
poulain dont j'ai besoin.
- Pourquoi pas ? Chez moi, le service n'est pas d'un
an ni d'un mois, mais juste de trois jours. Garde
bien mes juments et tu auras ton poulain. Mais que
tu m'en égares une seule, et ta tête
ira compléter la douzaine sur mes perches !
C'est bien d'accord?
Ivan-tsarévitch
dit : «D'accord !» Baba-Yaga lui donna
à manger, puis l'envoya faire paître
ses cavales. A peine dans les prés, les cavales
se sont égaillées de tous côtés,
pas moyen de les rattraper. Le tsarévitch l'essaya
bien, n'arriva à rien, s'assit et se mit à
pleurer. A force de pleurer il s'endormit. C'est l'oiseau
des Iles qui le réveilla au soleil couchant
:
- Rentre vite, tsarévitch ! Les cavales sont
déjà à l'écurie. En arrivant,
Ivan-tsarévitch entendit Baba-Yaga qui criait
: — Pourquoi êtes-vous toutes rentrées,
rosses empotées?
- Le moyen de faire autrement? - répondaient
les cavales. - Du monde entier sont venus des oiseaux,
ils voulaient nous crever les yeux !
- Puisque c'est comme ça, demain sauvez-vous
dans la forêt. Le lendemain, - Baba-Yaga menaça
encore Ivan-tsarévitch :
- Qu'une jument me manque et c'est ta tête qui
m'en répondra !
A peine dans les prés, les cavales se sont
égaillées, dans la forêt épaisse
se sont cachées, pas moyen de les retrouver.
Ivan-tsarévitch chercha bien, ne trouva rien,
se mit à pleurer et s'endormit. Au coucher
du soleil la lionne vint le réveiller : Rentre
à la maison, tsarévitch ! Les cavales
y sont déjà.
A la maison, Baba-Yaga pleine de rage menait grand
tapage :
- Pourquoi êtes-vous toutes revenues, sales
rosses ?
- Comment faire ? Du monde entier des bêtes
féroces sont arrivées, nous ont attaquées,
voulaient nous dévorer !
- Si c'est comme ça, demain vous irez plonger
dans la mer !
- Le lendemain, sitôt dans les prés,
les cavales se sont égaillées, dans
la mer bleue ont
- Puisque c'est comme ça, demain sauvez-vous
dans la forêt. Le lendemain, Baba-Yaga menaça
encore Ivan-tsarévitch :
- Qu'une jument me manque et c'est ta tête qui
m'en répondra !
A peine dans les prés, les cavales se sont
égaillées, dans la forêt épaisse
se sont cachées, pas moyen de les retrouver.
Ivan-tsarévitch chercha bien, ne trouva rien,
se mit à pleurer et s'endormit. Au coucher
du soleil la lionne vint le réveiller : Rentre
à la maison, tsarévitch ! Les cavales
y sont déjà.
A la maison, Baba-Yaga pleine de rage menait grand
tapage :
- Pourquoi êtes-vous toutes revenues, sales
rosses ?
- Comment faire ? Du monde entier des bêtes
féroces sont arrivées, nous ont attaquées,
voulaient nous dévorer !
- Si c'est comme ça, demain vous irez plonger
dans la mer !
Le lendemain, sitôt dans les prés, les
cavales se sont égaillées, dans la mer
bleue ont plongé ! Ivan-tsarévitch n'essaya
même pas de les suivre. Il se mit à pleurer
et s'endormit. C'est une abeille qui le réveilla
au coucher du soleil :
- Les cavales sont toutes à l'écurie,
tsarévitch. Mais en rentrant, ne te fais pas
voir de Baba-Yaga. Juste à minuit, va dans
l'écurie. Là, dans un coin caché,
dans du crottin couché il y a un poulain galeux.
Emmène-le et sauve-toi de la maison !
Ivan-tsarévitch se glissa dans la maison et
entendit Baba-Yaga mener grand tapage, tancer ses
cavales qui lui répondaient :
- Le moyen de ne pas rentrer ? Du monde entier des
abeilles sont venues nous piquer-attaquer ! Nous avons
les naseaux en sang, les oreilles à vif !
G.Kotchétov "Troika noces"
Baguire. 2000. Palekh |
A minuit sonnant, Ivan-tsarévitch prit le poulain
galeux et courut au fleuve de feu. Il agita son mouchoir
à droite, un pont s'éleva. Le tsarévitch
traversa, puis agita le mouchoir à gauche,
mais deux fois seulement. Le pont est resté,
mais tout fin-fragile, juste une apparence. Le matin,
Baba-Yaga ne retrouva pas son poulain galeux, et furieuse,
se lança à la poursuite du tsarévitch.
Baba-Yaga se dépêche, ne prend ni cheval
ni calèche, dans un mortier de fer trotte,
du pilon l'asticote, du balai efface la trace. Elle
monta sur le pont pour traverser le fleuve de feu,
mais le pont se rompit. Baba-Yaga tomba dans le fleuve
- et ce fut sa fin.
Ivan-tsarévitch mena son poulain dans les prés
verts, les herbages gras. Et, vite, le poulain se
fit beau coursier. Alors Ivan-tsarévitch revint
chez Maria Morevna. Elle tomba dans ses bras :
- Je te croyais mort ! Comment t'en es-tu sorti ?
- C'est arrivé comme ci et comme ça...
Mais partons vite ! J'ai peur, Ivan-tsarévitch.
Kochtchéï va nous rattraper !
- Ne crains rien, j'ai un cheval qui vole !
Le soir, Kochtchéï revient de la chasse,
des taillis débuche, sous lui son cheval trébuche.
- Tu bronches, vieille carne ? Sens-tu le méfait
qui se trame ?
- Ivan-tsarévitch est revenu. Il a emporté
Maria Morevna.
- Et pouvons-nous les rattraper ?
- Je n'en sais rien. Cette fois, le cheval du tsarévitch
est fils de ma mère, mon jeune frère.
Mais on peut toujours essayer.
Kochtchéï galopa à toute allure.
Il eut du mal cette fois, mais il finit quand même
par rejoindre les fuyards. Kochtchéï sauta
à terre, leva son cimeterre pour couper Ivan-tsarévitch
en menus morceaux. Mais le cheval du tsarévitch
sur lui-même tourna, d'une grande ruade l'assomma.
Et Ivan-tsarévitch acheva Kochtchéï
d'un bon coup de sa masse d'armes. Puis il brûla
son corps et jeta les cendres au vent.
Maria Morevna, beauté altière, prit
le cheval de Kochtchéï, Ivan-tsarévitch
le sien et ils s'en allèrent, sans se presser,
chez le corbeau, puis chez l'aigle et le faucon. Partout
ce n'était que fêtes, grande joie et
liesse. Et ses beaux-frères disaient :
- Ah, Ivan-tsarévitch ! On n'espérait
plus te revoir. Mais en voyant ta femme, on comprend
le mal que tu t'es donné. De beauté
pareille, il n'en existe pas sur toute la terre !
Après avoir festoyé joyeusement, Ivan-tsarévitch
et Maria Morevna, beauté altière, s'en
sont retournés dans leur royaume. Et ils y
ont vécu sans soucis ni tourments, buvant de
l'hydromel vieux, mangeant du pain blanc.
|